Lettre de Paul St-Pierre Plamondon au premier ministre du Québec sur la Commission d’enquête publique et indépendante sur le fiasco SAAQclic et sur la transition numérique gouvernementale

Monsieur le Premier Ministre,
La confiance de la population québécoise a été largement ébranlée à la suite des nombreuses révélations dans le cadre du fiasco SAAQclic. Avec raison, les Québécois souhaitent que l’on fasse toute la lumière sur ce triste épisode qui nous aura coûté collectivement au moins 1,1 milliard de dollars, dont 500 millions en dépassements de coûts.
Au cours des dernières semaines, nous avons malheureusement été témoins des omissions importantes et des nombreuses contradictions de la part du gouvernement et de ses ministres. Toute la semaine, vous et vos ministres responsables du dossier, Geneviève Guilbault, Éric Caire, François Bonnardel et Sonia LeBel, avez répété que vous n’aviez aucune idée, même « aucun indice », quant aux déboires du projet SAAQclic avant sa mise en fonction, parce que les fonctionnaires vous avaient caché l’état réel du projet. C’est uniquement grâce au travail des journalistes que nous avons appris que ce narratif était totalement inexact et que nous en apprenons encore davantage tous les jours.
L’un de vos ministres, Éric Caire, a d’ailleurs perdu son poste après avoir dit qu’il n’était au courant de rien, alors que des médias démontraient clairement le contraire par la suite. Vous avez affirmé en point de presse le vendredi 28 février que « les 3 ministres concernés n’avaient aucun indice. On n’a rien à cacher », « qu’on n’est pas devant un cas de corruption », et que le gouvernement allait être « 100% transparent ». Pourtant, nous savons depuis samedi que la ministre Geneviève Guilbault a été informée dès le 2 novembre 2022, contrairement à ce qu’elle affirmait toute la semaine. Le conseil exécutif, le ministère qui relève directement de votre responsabilité, a su que les tests finaux n’étaient pas complétés quelques semaines avant le lancement et qu’il y avait peu de marge de manoeuvre pour réussir le déploiement. Il a eu droit à une mise à jour du projet SAAQClic en novembre 2022. Le secrétaire général a été informé des « défis » du projet avant son déploiement. Selon votre propre ministre des Transports et vice-première ministre, le conseil exécutif a approuvé le lancement de SAAQclic en bonne et due forme.
Je vous pose donc formellement la question: dans quel scénario le moindrement crédible le secrétaire général et le conseil exécutif auraient été au courant d’un dossier de cette ampleur, avec des dépassements de coûts historiques de 500 millions, sans qu’ils n’informent directement le premier ministre? Une telle négligence méritait des congédiements immédiats dans l’appareil étatique et des actions inédites de votre part. La version officielle du gouvernement ne tient donc toujours pas la route.
Depuis le début de cette crise, le gouvernement a fait fi du principe de la responsabilité ministérielle, pourtant élémentaire en politique québécoise. Le mandat de la présente commission doit absolument tenir compte de ce principe. Cette commission doit permettre de faire toutes les lumières sur les cas allégués de dissimulation d’information importante auxquels nous faisons face, à la lumière des faits énoncés dans cette lettre. Vous avez demandé au Secrétaire général de l’État québécois de s’inspirer des propositions faites par les partis d’opposition et de faire en sorte que le travail soit complémentaire aux travaux de la Vérificatrice générale et de l’Autorité des marchés publics. Nous soumettons ici les grands paramètres de ce que devrait contenir le mandat d’une Commission publique et indépendante sur le fiasco SAAQclic et sur la transition numérique gouvernementale :
Que cette Commission ait pour mandat :
1) de faire état du niveau de connaissance des ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement de toute information relativement aux dépassements de coût et aux pratiques de gestion du projet SAAQclic, tel que rapportés par la Vérificatrice générale du Québec le 20 février 2025, et établir leur responsabilité dans ce fiasco;
2) d’examiner le cadre réglementaire d’attribution de contrats publics ayant trait à la transition numérique d’organismes publics et faire des recommandations à l’effet d’en renforcer l’intégrité;
3) d’examiner l’existence de stratagème et, le cas échéant, de brosser un portrait de ceux-ci qui impliqueraient de possibles activités de collusion ou de corruption dans l’octroi et la gestion de contrats publics ayant trait à la transition numérique, d’organismes publics telle la Société de l’assurance automobile du Québec, sans s’y limiter ;
4) d’examiner des pistes de solution et de faire des recommandations en vue d’établir des mesures permettant d’identifier, d’enrayer et de prévenir la collusion et la corruption dans l’octroi et la gestion des contrats publics ayant trait à la transition numérique, d’organismes publics telle la Société de l’assurance automobile du Québec, sans s’y limiter;
5) De rendre compte de l’ensemble des conclusions de son enquête au plus tard le 31 mai 2026;
De manière générale, nous demandons également que ces paramètres soient respectés pour la tenue de ladite Commission :
1) Que le premier ministre s’engage à ne pas déclencher d’élection avant la publication du rapport final;
2) Que dans l’intervalle, la ventilation détaillée de la facturation des entreprises en cause et du nombre de travailleurs impliqués de même que la nature du travail effectué, soient publiés;
3) Que les procès-verbaux des rencontres en lien avec la mise en place de SAAQclic soient décaviardés;
4) Que toute personne en possession d’information ait la capacité de la divulguer, que ce ne soit pas un prétexte pour empêcher la liberté d’expression sur le sujet;
5) Que la totalité des partis politiques soient en accord avec la nomination du ou de la Commissaire.
Par le passé, trop de commissions d’enquêtes ont été constituées de manière à éviter tout examen de la responsabilité du politique dans la dilapidation des fonds publics. C’est justement l’absence de responsabilité de ceux qui devraient être en charge qui explique que nous nous retrouvons devant des questions similaires à celles étudiées durant la commission Charbonneau. Nous exigeons par conséquent que la commission d’enquête couvre tous les aspects de la gouvernance de ces dépassements de coûts astronomiques dans le domaine numérique, incluant la gouvernance politique qui, à l’évidence, était beaucoup plus impliquée que ce qu’on voudrait bien laisser croire à la population.
Veuillez recevoir, monsieur le premier ministre, mes plus sincères salutations.
Paul St-Pierre Plamondon
Député de Camille-Laurin
Chef du troisième groupe d’opposition