Le 27 octobre 1995, il y a 25 ans jour pour jour, les Québécois étaient les témoins d’un tournant dans la campagne référendaire: des dizaines de milliers de Canadiens avaient convergé vers notre métropole pour, soi-disant, nous dire à quel point ils nous aimaient et tenaient à nous. C’était le fameux love-in.
Mais cette déclaration d’amour n’en était pas une; il s’agissait plutôt de l’expression de leurs propres intérêts politiques et de leur attachement pour le Canada, dans le cadre duquel le Québec constituait une menace qu’il fallait gérer ponctuellement par tous les moyens tactiques, quitte à commettre des actes illégaux et à faire de fausses promesses.
Un rassemblement controversé
Ce rassemblement a été à l’origine d’une immense controverse, qui perdure aujourd’hui. D’abord, parce qu’il a été financé en partie par des corporations du ROC – ce que le directeur général des élections du Québec jugeait irrecevable.
Autrement dit, ce déploiement, cette démonstration d’«amour» était en fait une fraude électorale. D’ailleurs, c’est toute la stratégie du camp du Non qui reposait sur la tromperie, exactement comme en 1980.
Rappelons‐nous Jean Chrétien tenant ce discours pouvant facilement être attribué à Trudeau père: «Nous allons faire les changements nécessaires afin [que] le Canada entre dans le XXIe siècle uni d’un océan à l’autre et fier de ses deux langues officielles.» Non, il ne s’agissait pas d’amour, mais bien d’une supercherie. La supercherie est encore plus évidente lorsque l’on considère le sort qui attendait les Québécois à la suite de la victoire du Non.
Les exemples sont nombreux: l’intimidation juridique des indépendantistes à travers le plan B de Jean Chrétien, l’élargissement du pouvoir de dépenser d’Ottawa de manière à créer de la loyauté et une dépendance de plusieurs secteurs québécois envers le fédéral, l’effacement de nos symboles nationaux et la corruption de nos élites à travers le scandale des commandites, l’augmentation du Québec bashing, l’affaiblissement ou la corruption des institutions québécoises susceptibles de nous rappeler que nous existons et que nous pouvons faire les choses différemment, grâce à l’œuvre du tandem Charest‐Couillard, etc.
Faire du Québec une province comme les autres, comme disait Philippe Couillard: la stratégie du gouvernement fédéral à la suite de la défaite référendaire de 1995 n’était non pas orientée vers la recherche de moyens pour l’intégration du Québec dans le Canada, mais bien vers l’affaiblissement, voire l’anéantissement du mouvement souverainiste en particulier, mais aussi de la spécificité québécoise en général.
Pas de changement
Vingt-cinq ans plus tard, non seulement les choses n’ont pas vraiment changé, mais elles ont de surcroît précipité notre nation dans un déclin linguistique, culturel et économique indéniable. Chaque fois, en fait, que les Québécois tentent de s’affirmer, de définir la façon dont ils veulent vivre, ils sont l’objet d’insultes des présomptueux médias anglophones de partout au Canada.
Les tribunaux canadiens ne font guère mieux, d’ailleurs. Leur mission: morceler et anéantir la loi 101 et celle sur la laïcité, entre autres. Dans le cas de la première, le travail est déjà bien entamé. Pour la seconde, les efforts de sape du Canada anglais ont bien mis la table.
Pour revenir au thème de l’amour, on devrait plutôt parler d’approche «passive-agressive» pour décrire le lien qu’entretient le Canada vis-à-vis du Québec.
Or, ce lien passif-agressif, qui vise d’abord et avant tout à garder le contrôle sur le Québec, mine notre bien-être et notre estime de nous-mêmes. Les conséquences de la défaite référendaire de 1995 ont été nombreuses, mais l’une des plus marquantes demeure l’impact de cette défaite sur notre capacité à croire en nous-mêmes en tant que peuple.
C’est comme si une partie des magouilles et de la manipulation du camp fédéraliste avait réellement eu comme effet d’effacer une partie de notre conscience collective, une partie de notre volonté d’exister. Notre principal projet collectif ayant échoué, nous avons été à la recherche de quelque chose d’autre, comme pour oublier.
Un projet de société à compléter
Combien de fois a‐t‐on reproché aux politiciens de n’avoir aucun projet de société? Pourtant, le nôtre reste à faire; il s’agit de l’aboutissement naturel de notre statut politique en un statut de peuple normal.
C’est à ce moment précis de notre histoire qu’intervient la notion de courage, soit celui de compléter un destin inachevé. Une fois débarrassés de notre inaptitude temporaire à croire en nous-mêmes et à veiller sur nos propres intérêts, nous y arriverons.
Avec le recul, la morale de cette histoire est la suivante: nous sommes depuis trop d’années dans une relation malsaine qui ne fonctionne plus et mine notre estime de nous-mêmes comme notre prospérité, mais l’autre nous répétera qu’il nous aime et qu’il va changer lorsqu’il sentira la soupe chaude.
Y croyez-vous? Pour ma part, je suis d’avis que ce mauvais film, si on n’y met pas fin, garantit une seule chose: notre déclin. Le Québec et le Canada se paralysent mutuellement et s’empêchent d’avancer; la seule façon pour le Canada d’exprimer une forme d’amour envers les Québécois serait de collaborer à leur démarche légitime vers la justice, la liberté et la démocratie, soit celle de devenir, comme c’est le cas pour la grande majorité des peuples de la terre, un pays.