Intolérance solidaire
Chère Ruba,
Nous nous sommes côtoyées pendant quatre ans à l’Assemblée nationale, toi de Québec solidaire, moi du Parti québécois, et j’avoue avoir développé une estime pour ta fougue. C’est donc avec intérêt que j’ai voulu t’entendre parler de ta démarche indépendantiste pendant une heure dans le récent balado de Génération Oui.
J’ai été estomaquée de t’entendre dire que tu « détestais au plus haut point » la politique nationaliste menée par mon parti, mes collègues, les militants que je côtoie au quotidien. Qu’est-ce qui peut ainsi déclencher chez toi un rejet aussi brutal des convictions d’autres indépendantistes ? Tu as expliqué : « moi c’est le discours où quand on parle de la nation québécoise, quand on parle du Québec, du pays, de l’histoire, – évidemment on ne le dit pas comme ça – mais on parle aux gens qui étaient là, disons, au début, dans le temps de la Nouvelle-France. Là je caricature, mais souvent, entre les lignes, c’est comme si on parle : ça, c’est les vrais. »
L’accusation est grave. Elle est contredite par l’ensemble de mes collègues péquistes issus de la diversité québécoise, par l’ensemble des politiques en matière d’intégration de notre parti. Quelles preuves avances-tu ? Aucune. Tu dis « lire entre les lignes ». Il s’agit donc d’un biais, d’un préjugé. D’intolérance. Les intervieweurs t’ont demandé de préciser d’où tu tirais cette perception. « Je le retrouve chez certaines personnes dans le Parti québécois qui vont un petit peu exclure ou avoir un discours de peur. » Lesquelles, quand, à quel sujet ? Roxham ? Tu admets que c’est un sujet qu’il faut aborder. Les seuils d’immigration ? Tu affirmes que c’est un débat légitime. Alors ? Alors ceci :
« C’est pas juste l’immigration, c’est tout le discours qu’on tient sur le Québec, la nation québécoise, sur une vision du Québec que je n’aime pas. »
Tu sembles donc allergique au mot « nation », à notre volonté de nous inscrire dans une histoire, de célébrer la grande aventure québécoise sur le continent. Voilà ce que tu détestes, au point de nous accuser d’avoir des discours de peur, de trier les « vrais » Québécois des autres. Tu relaies précisément la propagande fédéraliste de Pierre Trudeau et Jean Chrétien en 1980 et en 1995 contre l’idée indépendantiste. Ta volonté de salir le Parti québécois fait nécessairement une victime collatérale : l’idée d’indépendance. Pose-toi la question : pourquoi n’arrivez-vous pas même à convaincre la moitié de votre propre électorat à appuyer l’indépendance ? Peut-être est-ce parce que vous calomniez une partie des indépendantistes. Parce que vous détestez leur discours.
Les intervieweurs t’ont demandé : « Bloc québécois ou NPD ? » Tu as répondu avec enthousiasme : « NPD ».
Voilà un parti fédéraliste qui, cette dernière année seulement, s’est opposé aux positions unanimes de l’Assemblée nationale, donc aux positions de ton propre parti. Vous souhaitez un rapport d’impôt unique, le NPD dit non. Vous souhaitez des transferts en santé sans condition, Jagmeet Singh a exigé des conditions. Malgré des désaccords sur le fond, vous souhaitez que le fédéral ne se mêle pas des décisions québécoises en matière de laïcité et de langue. Le NPD réclame une intervention de la Cour suprême pour invalider nos lois. Vous estimez que les propos méprisants envers le Québec d’Amira Elghawaby la disqualifient de son poste de conseillère de Justin Trudeau. Le NPD l’appuie sans réserve.
Tu dis que tu ne ferais pas plus d’alliance avec le Parti québécois qu’avec le Parti libéral du Québec. Mais tu appuies un parti fédéraliste canadien qui tourne le dos à nos combats.
Alors. Que reproches-tu au Bloc Québécois ? Qu’il mène à Ottawa toutes les batailles du Québec ? Qu’il soit indépendantiste ? J’espère que non. Je dois comprendre que tu lui reproches de parler de nation, d’histoire, de pays.
Finalement, sache que je ne déteste pas ta position. Je crois que ce mot ne devrait pas exister entre indépendantistes. Je respecte tes opinions, sans les partager. Je sais qu’il faudra un jour rassembler au moins la moitié des Québécois pour se donner un pays. Qu’il faudra additionner des points de vue complètement différents, mais qui se rejoignent dans une même volonté d’indépendance. La détestation, l’intolérance, les procès d’intention ne sont pas les bons outils pour nous rendre à bon port. Je te les laisse.
Méganne